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Photo : Francesc Català-Roca, Historical Archive of the College of Architects of Catalonia, 1952.

Interroger la profession :
Coopératives d’architectes et d’urbanistes

Directeur·ices du dossier : Lorenzo Ciccarelli (Université de Florence) et Vanessa Grossman (Université de Pennsylvanie Stuart Weitzman School of Design).

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Depuis son émergence en Occident, au début de la Renaissance, la profession d’architecte est caractérisée par une tension. Si son caractère collectif rend seul possible la production architecturale – de l’extraction des ressources au chantier de construction, jusqu’à la maintenance du lieu après réception du bâtiment – c’est le statut d’architecte-créateur·ice qui retient l’attention des historien·nes, des critiques, mais aussi des architectes elleux-mêmes. De nos jours, cette tension s’est même renforcée dans le contexte économique et productif du capitalisme. La figure singulière de l’architecte – « l’archistar » – est glorifiée à des fins commerciales et médiatiques, tout en occultant le fait que le travail est réalisé par les agences aux compétences multiples que ces grandes figures dirigent.

Toutefois, tout au long du XXe siècle, et particulièrement dans les années d’après-guerre, plusieurs initiatives au Nord comme au Sud ont cherché à reconfigurer la profession elle-même, imaginant des formes d’organisation affranchies de leurs complicités avec certaines tendances capitalistes conduisant à la marchandisation et à l’individualisation de l’architecte-créateur. En Europe et ailleurs émergent ainsi plusieurs organisations coopératives (affichant bien souvent leurs affinités avec les partis et mouvements de gauche), au sein desquelles des architectes, des urbanistes, des paysagistes, des historien·nes, des artistes, des géographes, des économistes, des juristes et des sociologues se sont rassemblé·es pour tenter d’initier de nouvelles formes de pratiques transdisciplinaires. Selon les protagonistes initiant certaines de ces contre-pratiques, la recherche de nouvelles formes d’organisation n’était pas seulement une façon de remettre en question le système économique et productif dans lequel ils opéraient. Il s’agissait aussi d’un projet créatif en soi, reliant leurs différentes visions disciplinaires du changement et de l’action sociopolitique.

Si les moins politisées de ces formations professionnelles cherchaient à constituer une pratique du projet plus collective et multidisciplinaire, les plus radicales assumaient un rôle consultatif fondé sur la collaboration directe des architectes avec des professionnel·les issu·es d’autres disciplines, mais aussi de la société civile. On peut citer ici en exemple l’héritage de l’architecte, théoricien et ancien guérillero Sérgio Ferro et ses trajectoires croisées entre Amérique latine et Europe. Exilé du Brésil et arrivé en France à la fin des années 1960, Ferro a consacré tout son travail à un repositionnement de l’architecture dans le domaine de la production sociale à travers une critique de l’exploitation des travailleur·ses sur les chantiers de construction. Dans les années 1980, après la re-démocratisation du Brésil, le travail de Ferro en tant qu’architecte et théoricien a conceptuellement soutenu la formation de plusieurs assessorias técnicas (conseils techniques), comme l’USINA. Il s’agissait de groupes multidisciplinaires dans lesquels des architectes, mais aussi des avocat·es, des urbanistes et des sociologues, étaient associé·es avec ce qu’on appelle des « mouvements sociaux urbains » pour concevoir et construire collectivement des projets de logements dans le centre et la périphérie des villes comme São Paulo. Ces initiatives s’inscrivaient dans le cadre de programmes sociopolitiques plus larges, luttant contre le sans-abrisme et les violations des droits humains.

Bien que les protagonistes, les lieux et les cadres culturels diffèrent, ces associations coopératives ont en commun plusieurs caractéristiques :

  • chercher à dépasser le statut d’auteur·ice solitaire en faveur d’une collaboration de groupe anonyme prêtant davantage d’attention au processus du projet ;
  • relier activités de conception avec activisme politique et engagement social ;
  • contaminer le projet architectural et urbain au contact d’autres disciplines telles que les arts, l’histoire, la théorie de l’architecture et la sociologie ;
  • s’intéresser principalement aux commandes publiques et non au secteur privé ;
  • considérer l’architecture comme un service public ;
  • orienter les activités de conception non pas vers des constructions individuelles mais plutôt vers des ensembles de logements sociaux, des écoles, des salles polyvalentes et autres équipements communautaires pour les banlieues.

Historiquement, ces pratiques se sont fondées sur la remise en question de la puissance grandissante du monopole des architectes, promoteurs et entrepreneurs. Elles contestaient également l’essor des concours d’architecture, en particulier dans les pays du Nord global, qui ne cherchaient qu’à glorifier la figure de la « stararchitecte », encore bien davantage célébrée après le tournant néo-libéral. Nombre de ces initiatives étaient à l’origine, et sont encore aujourd’hui, liées aux partis et mouvements politiques de gauche. Leur ambition était de se défaire du modèle de l’atelier (centré sur l’autorité et le charisme du maître), mais aussi de rompre avec les modèles d’association de pratiques professionnelles qui se sont répandus dans les milieux anglo-saxons et nord-américains d’après-guerre. Ces modèles continuent d’opérer partout dans le monde sous l’impulsion de la mondialisation néo-libérale actuelle.

Cet appel sollicite des contributions qui engagent une réflexion critique sur certaines de ces initiatives. Parmi celles-ci, nous renvoyons - sans s’y limiter - à des cas tels que :

  • en Belgique, l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (depuis 1969) ;
  • en France, l’Atelier d’Urbanisme et Architecture (AUA, 1960-1986), l’Atelier de Montrouge (1958-1981), l’Atelier de Recherches et d’Études d’Aménagement (AREA) ;
  • en Italie, la Società di Architettura e Urbanistica (SAU, 1957–63), l’Architetti Urbanisti Associati (AUA, 1961–1965), le Studio STASS (1967–1975), le Studio ASSE (1967–1970), ou encore le Collettivo di Architettura di Milano (1949–1973) ;
  • en Espagne, le Grup R (1951–1961) et le Taller de Arquitectura (depuis 1963) ;
  • au Portugal, les Brigades SAAL – Serviço Ambulatorio de Apoio Local (1974–1976);
  • en Grèce, l’Atelier 66 (1965-1986) ;
  • en Uruguay, différentes initiatives dans lesquelles des services municipaux, des architectes et des parlementaires ont formé ce qui est devenu le Team 10 au milieu des années 1960, qui ont joué un rôle de conseil technique pour la création pionnière de coopératives d’entraide ;
  • et pour terminer, au Brésil et en France, citons à nouveau le travail de Sérgio Ferro et ses implications en-dedans et au-delà des frontières brésiliennes avec les créations contemporaines de assessorias técnicas, tels que Ambiente Arquitetura, Brasil Habitat, Integra Cooperativa, Fábrica Urbana, Peabiru TCA, Usina CTAH et Grão au cours du processus de démocratisation initié dans les années 1980.

Clara #12 propose donc d’étudier ce phénomène à une échelle globale, mobilisant des cas d’étude issus de différents pays et contextes culturels (Europe, Amérique, Afrique, Moyen- et Extrême-Orient) pour interroger les enjeux politiques, sociaux et disciplinaires soulevés par la création de ces associations. Comment ont-elles été organisées et gérées ? Quelles étaient les connexions entre ces associations coopératives et les engagements pédagogiques, politiques et sociaux de leurs membres ? Ou encore entre ces associations et les projets urbains et architecturaux qu’elles ont portés ?

Bien que ce dossier thématique s’intéresse plus spécifiquement aux coopératives professionnelles qui ont émergé dans les trente années qui ont suivi la fin de la seconde guerre mondiale – une époque au cours de laquelle les architectes et urbanistes exprimaient avec ferveur leurs liens avec les idéaux politiques et sociaux du communisme et du socialisme –, cet appel s’adresse également aux études de cas issus de situations plus récentes. Les études de cas contemporains peuvent cibler non seulement des structures professionnelles anonymes ou collectives, mais aussi des organisations qui, en matière de programmation, expérimentent le projet à différentes échelles, voire intègrent dans le processus de conception des disciplines traditionnellement tenues comme extérieures aux domaines de l’architecture et de l’urbanisme.

 

Modalités

Les propositions d’abstracts devront être envoyées à clara.archi@ulb.be avant le 15 décembre 2024 et doivent inclure un fichier PDF anonymisé comprenant :

  • un résumé de 500 mots ;
  • un titre provisoire.

Dans le corps du mail uniquement, merci de préciser:

  • le(s) nom(s) du/des contributeur·ices,
  • le/les affiliation(s) académique(s) (le cas échéant), une courte biographie de 100 mots maximum par contributeur·ice.

Les propositions de contributions peuvent être soumises en anglais ou en français.

 

Calendrier prévisionnel

15 décembre 2024  —  Soumission des abstracts anonymisés par e-mail à clara.archi@ulb.be, Pré-sélection au vu de leur pertinence pour la thématique du dossier

Fin décembre 2024  —  Communication des résultats de cette sélection

Fin mars 2025  —  Soumission des articles complets (max. 8.000 mots) et évaluation en aveugle par les pairs

Mai-juin 2025  —  Envoi des évaluations

1er septembre 2025  —  Soumission des articles révisés

Automne 2025  —  Processus d’édition des articles

Début 2026  —  Publication de Clara 12

 

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