Habiter (le) collectif 

Directrices du dossier : Nele Aernouts (VUB), Emmanuelle Lenel (USL-B) et Christine Schaut (ULB)

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© Arno Collet

 

L’habitat collectif connait un regain d’intérêt en Europe depuis le début des années 2000 (Tummers 2015), soutenu notamment par la crise du logement, la critique sociale de l’« individualisme », l’évolution des modèles familiaux, les préoccupations environnementales et, plus récemment, la crise socio-sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 (Salembier et Ledent 2021). Dans les grandes villes surtout, une diversité de projets d’habitat collectif se développent (Lenel, Demonty et Schaut 2020). Ils sont portés par une pluralité d’acteurs et d’actrices issus.e.s d’initiatives citoyennes, d’institutions publiques, d’associations ou encore du secteur privé marchand. Ils s’adressent tantôt à des publics précaires tantôt plus aisés. On pense aux habitats groupés en auto-promotion, à l’habitat solidaire ou participatif (Bernard 2007 ; Biau 2012 ; Bresson et Tummers 2014 ; Lefèvre 2014), aux colocations étudiantes, aux coliving de standing, aux coopératives (Maury 2009 ; Carriou 2014), aux projets de Community Land Trust, aux occupations temporaires (Dawance 2008) ou encore à l’habitat évolutif (Ledent, Salambier et Vanneste 2019). Si certains entendent promouvoir une façon d’habiter alternative au modèle traditionnel (Iorio 2015), considérée plus conviviale, solidaire et écologique, d’autres sont portés par une logique immobilière strictement financière, répondent à des besoins individuels d’habitat et promeuvent « l’économie servicielle de la propriété » (Moussi 2020). Au-delà de leurs différences, ils proposent des espaces communs susceptibles de susciter les échanges entre occupantes et occupants, concrétisent les imaginaires du « bon habiter » qui les portent et, ainsi, questionnent la stricte séparation privé/public sur laquelle repose l’habitat individuel tel qu’il a été standardisé au 20ème siècle (Provencio 2017).

Certains de ces projets récents trouvent une source d’inspiration dans des expériences plus anciennes comme celles du Familistère de Guise à la fin du 19ème siècle, des immeubles à appartements art-déco des années 1930, de l’habitat collectif moderniste (Schaut 2018) ou encore des communautés hippies des années 1970 (Liettart 2008). Cet appel encourage les contributions qui, tout en analysant des projets contemporains, seront attentives aux filiations socio-politiques et architecturales qui les lient à des exemples historiques, mais également aux ruptures, aux nouveaux référentiels et aux nouveaux dispositifs – spatiaux et architecturaux, mais aussi sociaux et institutionnels – qu’ils mettent en œuvre. Cet appel vise aussi des contributions abordant l’évolution de tels modèles historiques ainsi que leur mise à l’épreuve, au cours du temps, par les pratiques d’habiter et de coexister qu’ils ont abritées et abritent aujourd’hui.

Ce numéro de Clara poursuit deux objectifs. Dans une perspective macro, il éclairera le contexte de la production d’habitats collectifs, les modèles architecturaux et spatiaux qui les portent ainsi que le jeu des acteurs et actrices qui les soutiennent. Dans une perspective plus micro, il mettra à l’épreuve du terrain les intentions qui les portent, en questionnant les dispositifs architecturaux et sociaux qui y sont déployés et les façons dont, mêlés, ceux-ci favorisent ou défavorisent des usages et des sociabilités. Les monographies d’expérience concrète et les études comparatives sont à ce titre particulièrement encouragées. Les contributions devront ainsi s’inscrire dans l’un des trois axes suivants :

1. Un jeu d’acteurs renouvelé ? 

Les différentes évolutions et crises évoquées plus haut n’ont pas seulement poussé les acteurs et actrices du logement à augmenter l’offre de logements collectifs, elles font aussi apparaître

des enjeux plus qualitatifs liés à l’évolution des modes de vie ainsi qu’aux référentiels (Muller 2015) de durabilité et de transition écologique tels que la densité, la proximité, ou encore de l’économie circulaire (Pattaroni et Marmy 2016). La volonté, entre autres politique, de soutenir des projets innovants pour faire face à ces enjeux (Lenel, Demonty et Schaut 2020) a fait émerger de nouveaux acteurs, plus diversifiés, dans la production du logement. Les contributions liées à cette thématique s’attacheront à étudier de plus près le contexte d’émergence de ces projets, les caractéristiques sociologiques des acteurs et actrices qui les portent, leurs motivations explicites et implicites, leur travail et la nature des freins, entre autres juridiques et de gouvernance, auxquels ils et elles sont confronté.e.s. Cela inclut la nature des relations tissées entre eux et elles et avec les acteurs et actrices traditionnel.le.s du secteur du logement. Cet axe s’intéresse plus particulièrement au rôle qu’y jouent les architectes et urbanistes et aux modalités suivant lesquelles ils ou elles interviennent. Ainsi cet axe s’attache à analyser les « nouvelles » manières d’agir telles que la co-production, l’expérimentation et la participation citoyenne.

2. Des lieux hospitaliers au collectif ?

Les enquêtes ethnographiques au sein d’habitats à visée communautaire montrent que la volonté de faire collectif ne se construit pas forcément là où on l’attend. Ainsi, elle peut émerger au travers de pratiques ordinaires et non formalisées comme par exemple la gestion des conflits quotidiens autour de l’entretien du lieu (Schaut, Wibrin et Lenel 2020). Les contributions interrogeant les types et les qualités matérielles des espaces – publics, communs ou privés – dans lesquels se développent effectivement des liens entre les occupantes et les occupants comme de ceux qui restent non appropriés collectivement malgré les intentions, sont les bienvenues. Elles pourront aussi questionner les dispositifs architecturaux et les conditions matérielles de l’habitat chargés d’assurer la possibilité de repli sur le privé quand le côtoiement est source de malaise. Dans une perspective pragmatiste, l’appel vise également à recueillir des propositions analysant précisément les prises ou affordances (Gibson 1988) qu’offrent ou non les caractéristiques architecturales du lieu, lesquelles valorisent, contraignent ou empêchent certaines pratiques communes d’habiter (Aernouts 2020). Ce faisant il s’agit ici de prendre au sérieux la proposition selon laquelle la matérialité est « active et constitutive de l’ordre social» (Chétima 2016, 14). Des contributions s’intéressant aux filiations historiques des habitats collectifs étudiés et à leur mise à l’épreuve des modes de vie contemporains sont également les bienvenues.

À l’échelle urbaine, cet axe est également sensible aux contributions interrogeant, d’une part, les logiques de localisation de ces projets, les caractéristiques spatiales des quartiers qui les accueillent et, d’autre part, leurs modalités d’inscription dans ces lieux et les effets tant spatiaux que sociaux de leur installation.

3. Une gestion plurielle des espaces communs ?

Certains des projets intéressant ce numéro développent des dispositifs dont un des objectifs est de veiller à la maintenance et à la gestion des espaces commmuns : des groupes de travail sont mis en place, des assemblées générales y sont consacrées, des concierges ou des intervenant.e.s sociaux et sociales veillent à ce que les espaces communs le soient et le restent (Schaut, Wibrin et Lenel 2022 ; Aernouts et Ryckewaert 2019). Sont encouragées des contributions interrogeant le travail sur l’espace mené dans le cadre de ces dispositifs sociaux et humains, en particulier les effets (ou non) de l’intervention sur l’espace et son architecture. Ces contributions analyseront le type d’espace et d’usages qu’ils légitiment ou délégitiment dans leurs actions, leur degré de perméabilité à des usages alternatifs et les références du « bon » espace commun et du « bon » usage qu’ils véhiculent.

 

Modalités concrètes :

Les premières propositions sous forme d’abstract (en français ou en anglais, max. 500 mots) devront être envoyées à clara.archi[at]ulb.be avant le 13 mars 2023. Le corps du mail comprendra une courte biographie de 100 mots maximum ainsi que l’affiliation académique de l’auteur·ice (le cas échéant). Le fichier .PDF joint comportera un titre et un résumé de max. 500 mots ; il ne précisera pas l’identité de l’auteur·ice.

 

Calendrier prévisionnel :

Février 2023 | Lancement de l’appel à contributions

Mars 2023 | Soumission des résumés d’articles par e-mail et pré-sélection sur base de l’adéquation à la thématique

Août 2023 | Soumission des contributions complètes sur la plateforme en ligne de la revue Clara et processus de double évaluation anonyme par les pairs

Novembre 2023 | Communication de l’évaluation par les pairs

Décembre 2023 | Le cas échéant, soumission des contributions améliorées

Début 2024 | Processus éditorial

Printemps 2024 | Publication de CLARA#10

 

Bibliographie :

Aernouts, N., 2020. « ‘Designing’ commons: exploring interplays between commons, space and spatial design ». In Urban Des Int 25, p. 63-76.

Aernouts, N. et Ryckewaert, M., 2019. « Reproducing housing commons. Government involvement and differential commoning in a housing cooperative ». In Housing Studies, 34/1, p. 92-110.

Bernard, N. et al., 2007. Habitat solidaire. Etude sur les possibilités de reconnaissance de l’habitat groupé pour les personnes en précarité sociale. Service public de programmation intégration sociale, Bruxelles.

Biau, V., 2012. « Les architectes de l’habitat participatif, entre compétence et militance ». In Métropolitques, 30 janvier 2012, http://www.metropolitiques.eu/Les-architectes-de-lhabitat.html.

Bresson, S. et Tummers, L., 2014. « L’habitat participatif en Europe. Vers des politiques alternatives de développement urbain ? ». In Métropoles [Online], 15. URL: http://journals.openedition.org/metropoles/4960.

Carriou, C., 2014. « Propriété privée, propriété de soi et sens du collectif. La « coopérative d'habitat Le Grand Portail » à Nanterre (France) ». In Espaces et sociétés, 156-157, p. 213-227.

Chetima, M. 2016. « La culture matérielle de la maison dans la pensée anthropologique : parcours théorique d’un concept transdisciplinaire », In International Journal of Humanities & Cultural Studies, Vol. 2, Issue 4, p. 465-493.

Dawance, T., 2008. « Le squat collectif autogéré, une réponse à la crise urbaine ». In La revue nouvelleLe logement déménage, p. 30-41.

Flamand, A., 2010. « L’invention des espaces intermédiaires. Les lieux du voisinage dans la législation française, XIXe-XXe siècle ». In Etranges voisins. Altérité et relations de proximité dans la ville depuis le XVIIIe Siècle. Rennes, p. 49-64.

Gibson, E.J., 1988. « Exploratory behavior in the development of perceiving, acting, and the acquiring of knowledge », Annual Review of Psychology, 39(1), p. 1-42.

Iorio, A., 2015. « Le cohousing : un nouveau mode d'habiter ? ». In Socio-anthropologie, 32, p. 87-101.

Laval, Ch., 2016. « ‘Commun’ et ‘communauté’ : un essai de clarification sociologique ». In SociologieS [Online]. URL : http:// journals.openedition.org/sociologies/5677.

Ledent G., Salambier, C. et Vanneste, D., 2019. Sustainable Dwelling. Between Spatial Polyvalence and Residents' Empowerment. Louvain-la-neuve, PUL.

Lefèvre, P., 2014. « L’habitat participatif ». Paris, Éditions Apogée.

Lenel, E., Demonty, F. et Schaut, Ch., 2020. « Les expériences contemporaines de co-habitat en Région de Bruxelles-Capitale ». In Brussels Studies [Online], 142. URL: https://doi.org/10.4000/brussels.4172.

Liettart, M., 2008. « Vivre en cohabitat, reconstruire des villages en ville ». In La revue Nouvelle, 3, p. 53-60.

Maury, Y. (ed.), 2009. Les coopératives d’habitants – Méthodes, pratiques et formes d’un autre habitat populaire, Bruxelles, Bruylant.

Muller, 2015. Les politiques publiques, 11e édition, Paris, PUF

Provencio, M., 2017. “Entretien avec Luca Pattaroni : Mutualiser ou comment gérer la mise en partage du commun ». In Collage, 4, p. 4-7.

Pattaroni, L. et Marmy V., 2016. Les coopératives dans le canton de Vaud, Genève, Rapport de recherche.

Salembier, Ch. et Ledent, G., 2021. « Parents en cohabitat. Vers une parentalité élargie ? ». In EchoGéo [En ligne], 55. URL: http://journals.openedition.org/echogeo/21095.

Schaut, Ch., 2018. « Ce qu’il se passe entre les choses et les groupes ». In Lenel, E. (dir.), L’espace des sociologues. Toulouse, ERES, p. 63-88.

Schaut, Ch., Wibrin, A.-L. et Lenel, E., 2022. « Habiter le collectif. Etude comparée de deux projets bruxellois », in Girard M. et Mesini B. (dir), éCoHabiter des environnements pluriels. Marseille, Editions Imbernon/coll. « Habiter. Cahiers transdisciplinaires », p. 52-63.

Tummers, L. , 2015. “The Re-Emergence of Self-Managed Co-Housing in Europe: A Critical Review of Co-Housing Research”. In Urban Studies, 53, p. 2023–2040.